c/o Elodie Weyne
Doctorante au CALHISTE, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis.
« Plasticity », exposition proposée par Dimitri Vazemsky, pour les 10 ans de l’Hospice d’Havré, nous propose une expérience pour le moins atypique : celle de la disparition de la notion d’auteur. Loin d’un académisme qui tient, au nom d’un combat Ô combien important à l’heure de la reproductibilité exacerbée de l’œuvre d’art, à associer à chaque œuvre son auteur au moyen de cartels bien souvent très normés, Vazemsky évince la légende et nous propose, le temps d’une expo, de regarder l’œuvre pour ce qu’elle donne à voir et non pour l’artiste qu’elle incarne.
Il y a quelques temps, une étude analysant les attitudes des spectateurs face aux œuvres, a été réalisée au Musée du Louvres à Paris. Les résultats, guère étonnants, attestaient que les visiteurs prenaient plus de temps à lire les cartels qu’ils n’en passaient à contempler les œuvres. Aussi décevant que ces résultats puissent paraître, il est impossible d’en vouloir aux spectateurs. Comment, en effet, leur reprocher ce besoin de savoir ce qu’ils regardent, ce désir de connaissance ?
Malheureusement, cette habitude d’authentification de chaque auteur modifie notre façon de regarder l’œuvre et, de ce fait, notre expérience esthétique. La signature d’une œuvre a sur le spectateur un effet magique, et confère à l’objet observé une aura qui influencera notre jugement et modifiera de façon irrémédiable la valeur et l’importance qu’on lui portera. Peu importe la qualité d’un tableau, on ne le regardera pas de la même manière si l’on sait qu’il a été peint par Van Gogh ou par un peintre inconnu.
Cet obstacle à la perception ne se pose plus chez Vazemsky puisque l’artiste nous invite à pénétrer dans un paysage foisonnant, constitué de multiples œuvres dont les auteurs ne sont jamais identifiés. Les œuvres présentées, qu’elles soient des œuvres de Vazemsky lui-même, des œuvres issues de collaborations ou des œuvres réalisées par d’autres artistes, cohabitent de façon harmonieuse, sans distinction de valeur. Chaque œuvre peut alors être abordée pour ses simples formes, pour ce qu’elle évoque, ce qu’elle suggère, et pour les dialogues, les relations qu’elle tisse avec les autres œuvres exposées. On la regarde pour ce qu’elle est, sans la valeur ajoutée de la signature, sans les aprioris liés à leur concepteur. L’œuvre n’est plus inscrite dans l’histoire d’un créateur, elle ne se présente plus accompagnée d’autres données liées à l’artiste. L’apport extérieur sera donc celui du spectateur qui fera de nouvelles associations, de nouveaux rapprochements et viendra enrichir l’œuvre de nouvelles citations. Vazemsky nous propose donc une exposition où l’intelligible (ici symbolisé par une reproduction au format carte postal de l’ « Adam et Eve » de Cranach, les montrant cueillant la pomme dans l’arbre de la connaissance) ne s’oppose plus à la pure sensibilité.
Bien sûr, on peut identifier les artistes grâce aux œuvres : les inlassables peintures d’immeubles de Jérémy Liron, un brancard peint d’Éric Monbel ou encore les travaux de lettrismes de Dimitri Vazemsky lui-même. Mais l’agencement in situ, la combinaison de ces œuvres orchestrée par l’artiste, perd le spectateur. Vazemsky brouille d’ailleurs d’avantage les pistes puisqu’il imbrique, au milieu de ces œuvres, une série de citations envers les artistes desquels il se réclame : DUCHAMP, VILLEGLE, KLEIN ou encore LAVIER. Il n’hésite alors pas à se réapproprier leur pratique en l’enrichissant de nouvelles techniques, à répéter leurs œuvres ou à ériger des totems en guise d’hommage. La question de l’identité est de nouveau posée et l’on s’interroge sur les limites de l’appropriation et les frontières du plagiat. Vazemsky se joue de tout cela, affichant fièrement, sur le mur du fond de l’exposition, en lettres néons récupérées dans un supermarché : « I am Duchamp ».
Ayant eu carte blanche, l’artiste s’est fait commissaire et même modèle, prêtant son corps au jeu d’un moulage intégral orchestré par Fred Martin. Mais en installant ainsi de multiples travaux, il se les réapproprie afin de constituer une installation homogène. Cette installation définirait une collectivité artistique composée de Vazemsky, de ses inspirations et des contemporains avec lesquels il ressent une certaine affinité. Elle poserait de fait la question du territoire – notion présente dans de nombreuses œuvres exposées – territoire artistique, territoire collectif ou personnel, territoire à investir et à habiter.
Présentant ce paysage d’œuvres comme une œuvre globale, le commissaire d’exposition Dimitri Vazemsky reste donc artiste avant tout.