La veille…

« Tomorrow is… »
William Shakespeare

 

La drôle d’impression d’être, un peu, demain, par ces temps de reconfinement, la seule performance artistique dans toute la France… et ce pour un bon mois.

Demain, ROUGE, 8m de long, 2 m de haut, sortira dans le Parc Jean Baptiste Lebas. Lille.

Initialement concoctée comme une performance éphémère d’art monumental dans l’espace public, me permettant de colporter bribes entendues des passants passants, de partager, échanger, entendre, parler, étonner, émouvoir, surprendre, recueillir ce que ce ROUGE à d’autres évoque, là, ici, maintenant.

Mais demain, ce ROUGE sera timide, sortant dans l’espace public un peu déserté.
Le contact, l’impact de l’oeuvre, son volume, mot monumental, l’apercevoir de loin au fond du parc, s’approcher, tourner autour, s’asseoir regarder, être dans le lieu, et doucement -par l’intermédiaire de l’oeuvre- sentir la présence, une attention au monde, à l’autour, se modifier. Une expérience de l’espace, irremplaçable, convoquant le corps complet en présence, présence qu’une très bonne photo jamais ne remplacera. Essentielle, non?
Oui. Posez-vous devant un monochrome de Klein, sans vitre protectrice ni reflet, puis devant une reproduction photographique du monochrome dans un livre. Constatez la différence.
La vibration de la couleur même, qui vous marie, met à nu, sensiblement, avec le monde.
La sensation de la couleur pure.

Un mot monochrome, de couleur langagière surtout, Kossuth & Lavier, en père fantomatiques sur les remparts. La couleur et le mot. Congruents. « ROUGE », en rouge.

Ici le ROUGE joue aussi énormément avec le contexte.
ROUGE, au milieu du Parc Jean-Baptiste Lebas ( Ministre du Travail sous Blum qui, pendant l’été 1936, fit passer la semaine de quarante heures, les congés payés et la généralisation des assurances sociales). ROUGE. Teinte rosée: Lille. Les p’tits lillos l’appellent tous le Parc Rouge, à cause de ses grandes grilles qui l’entourent, du bureau paysagiste hollandais West 8. ROUGE.

Le ROUGE aurait du être installé quinze jours avant, au moment du couvre-feu, lorsque Lille passait soudainement en… zone rouge. Une  dizaine de jours plus tard, le ROUGE va résonner avec les frondaisons automnales. Orangées. Ocres. ROUGE.

Le mot, pour moi et d’autres, joue aussi de références, présentes, une réalité augmentée de la ville, colorée: c’est un peu plus loin, à deux pas, que fut chantée la première fois l’Internationale, le texte d’Eugène Pottier mis en musique par Degeyter au siège de la Lyre des travailleurs, dans le café lillois la Liberté, rue de la Vignette, Saint Sauveur, juste à côté de sa grande friche aux enjeux verts. Et rouges.
Complémentaires. 
Et puisqu’on flirte avec les hymnes, allez, demain, dans ce parc, le ROUGE est de Lille…
Et puis j’ai emprunté un livre sur Prévert, dans la médiathèque du Centre d’Arts. Et dans ce livre, un dernier jour d’Octobre, en 36 encore, Prévert écrit: 
 
« Méfiez-vous camarades 
La vie n’est pas encore tellement rose 
Elle n’est pas tricolore non plus… 
Elle est rouge la vie… »