c/o Nicolas Xavier Ferrand
Devant nous se dresse un mur d’objets. Le spectateur, si habitué à pouvoir déambuler à sa guise au sein des espaces d’expositions, est perturbé dans son « rapport normal » à la proposition artistique. Un tableau, fixé au mur, lui laisse l’entier espace de déambulation. Une sculpture l’invite à la contourner et à arpenter le lieu d’exposition. L’installation, elle, n’a de raison d’être que parcourue, éventuellement manipulée, par le spectateur. C’est d’abord par le refus que s’impose Plasticity. Le spectateur est en effet contraint à marquer un temps d’arrêt, et à faire face à une intrusive invasion d’items divers.
L’examen plus attentif lui fait remarquer que ces objets ont été savamment ordonnés, d’un point de vue quasi-chronologique, et qu’il s’agit aussi bien des témoins d’un lointain passé, des œuvres d’art de contemporains, et quelques pastiches. L’agencement paraît de toute évidence parfaitement étudié, et l’on commence à distinguer des relations s’établir entre certains d’entre eux.
Ce qui m’a frappé d’emblée avec Plasticity, c’est l’effet de saturation qu’elle impose. Cette présentation nous amène directement à penser au white cube lui-même. Si le lieu d’exposition s’en rapproche sans y céder, le dispositif, cherche au premier abord à s’en détacher. Oubliez la calme noblesse et l’immaculée neutralité du cube blanc, vous êtes mis face à ce qui semble être le moyen terme entre la tente de la fouille archéologique et le cabinet de curiosité… à moins que l’on fasse fausse route.
Lorsque l’on se familiarise avec le travail de Dimitri Vazemsky, on apprend que bien des chemins proposés (ou même, tous ?) sont des fausses pistes… Et si, au fond, il s’agissait plutôt du white cube lui-même ? Un peu comme s’il opérait une fusion audacieuse entre le « Vide » d’Yves Klein et le « Plein » d’Arman, expositions qui se succédèrent au même endroit, avec chacune l’ambition de révolutionner notre approche de l’expérience expositionnelle.
Les habitués et les historiens comme moi se méfient des tentatives pour contrer le cube, qui, fréquemment, sentent la naphtaline, pour dire le mieux. L’effet que produit Plasticity est autre. Plutôt que de revendiquer la fin du white cube et le retour à d’autres types de lieux, Vazemsky nous invite à considérer à quel point le cube blanc est chargé, lui-même saturé des multiples fantômes qui hantent son histoire, artistes, théoriciens, commissaires, expositions, et que cette neutralité revendiquée prend, à chaque nouvelle exposition, le teint et le poids d’une fiction.
Par ce dispositif, Vazemsky nous impose l’inconfort d’un point de vue unique. Le spectateur est férocement contraint dans ses déplacements, et certaines œuvres ne lui seront accessibles que partiellement. Il y a ici un parallèle troublant à faire avec ce cube, et au-delà, l’histoire de l’art elle-même. La neutralité de l’espace blanc était censée autoriser un contact direct avec l’œuvre, qui ne se voyait pas influencée par un environnement précis. C’était cependant plaquer sur l’art une vision précise de celui-ci, quelque peu décontextualisé – et surtout décontextualisable-, où la lumière chirurgicale du néon est la seule façon équitable de rendre visibles les œuvres. Ce que Plasticity nous amène à penser, c’est que tout cela, malgré et à cause de ces merveilleuses intensions, est une forme de discours comme un autre. Pour ne prendre un exemple, qui en effet, a décrété que les œuvres devaient toutes se présenter d’une même façon ?
Les parenthèses, prêt de son camarade Grégory Edelein, attestent la présence de ce discours hyper construit, discours qui, étant donné la diversité des objets, s’apparente à l’histoire de l’art. L’unicité du point de vue et les parenthèses nous amènent à penser que cette histoire de l’art que nous sommes supposés tous partager ne serait en fait qu’une digression parmi d’autres, une déviation du rayon lumineux qu’on nomme art.
Cette question du discours, et au-delà, du « storytelling », est au cœur même du travail de Vazemsky, qui agrémente tous ses projets de textes. Vazemsky raconte ses expositions en lieu de les faire, et le récit devient l’enjeu même. La mise à nue de la mariée est remplacée par l’histoire que les célibataires en ont rapportée. Le récit cependant y est ardu. On n’en capte rarement les tenants et les aboutissants, comme si on débarquait au milieu de l’histoire et qu’on se trouvait obligé de prendre un train –qui va très vite -, en marche. Le « niveau zéro de l’écriture », comme le dit « dimitri vazemsky » lui-même.
Ce faisant, l’artiste m’invite, semble-t-il, à acter le caractère fictionnel de l’exposition et de l’activité artistique elle-même. Il n’y a qu’à regarder les éléments qui concluent sa mise en perspective : une parodie de Bertrand Lavier, et l’usurpation d’identité de Duchamp avec des lettrages publicitaires, réponse du berger à la bergère. Comment mieux valider la fausseté de l’art (Picasso ne disait-il pas « l’art est un mensonge qui dit la vérité » ?) qu’en produisant des imitations joyeuses de deux artistes passés experts dans le faux-semblant, l’appropriation, la parodie, l’esquive et l’ironie ? L’art n’est-il pas alors, une saine respiration dans un univers à la probité forcenée ?
Plasticity est pour moi un hommage à la plasticité du récit lui-même, un réinvestissement positif, léger, conscient, de la narration, nettoyée par l’artiste de tous ses défauts, et enfin embrassée pour ses seules qualités. Il nous invite alors à commencer à effectuer notre propre histoire, habitée de nos propres fantômes.