Mélanger les genres, décloisonner l’espace pour y développer une écriture plus libre, une écriture tout court, avec des objets ou oeuvres, signes, mots donc, tout est ready-made, matière, pour construire une phrase, cartographier un univers, un portrait de groupe. Par un commissaire. Un pour tous. Ecrivant. Avec d’autres. Pour d’autres.
« Alles klar, Herr Kommissar? »
Une accumulation maladive, le premier commissariat brut. Le nom de la maladie? La syllogomanie, l’accumulation excessive des choses, est injectée dans l’Exposition. Le premier stade -médical- est l’incapacité, par l’accumulé, de se déplacer dans l’espace familier. Fini la promenade, d’oeuvre en oeuvre, ici le spectateur est bloqué face à l’abondance, la conservation dépassée, déposée, entassée.
Mais doucement, de ce magma, par la contemplation, un sens nait.
Par la contemplation plus que par la pensée.
Une écriture au sol se révèle/déchiffrée. Non immédiate.
Visible et lisible ne sont pas clairement séparés, les deux hémisphères sont encore dépendants l’un de l’autre.
L’écriture est celle d’un apparent chaos, à la lecture. Et non d’un message limpide. Aucun cartel.
Chacun retrace son chemin dans le désordre de son émotion.
Un paysage mental (re)composé. Brainscape. Voilà mes totems posés de ce territoire qu’est mon cerveau matérialisé. Une figuration de cette abstraction mentale. Une image mentale construite en miroir. Alliant l’imagerie, la cartographie objective, scientifique: les deux hémisphères y sont présents. Gauches et droits. Emotions et couleurs d’un côté, langage, codes et références de l’autre.
L’oeuvre est une Unité. Complète.
Faite d’éléments, distincts. Noyés, sans doute, mais faisant sens dans cette noyade.
Macrocosme, microcosme. Tout s’emboite. L’ensemble peint.
Un portrait de groupe également. Par un seul membre? Portrait de groupe autobiographique. Autofiction de soi en collectif. Un portrait de groupe aussi parce que chaque idée, concept, sans une personne qui la porte, n’est rien.
Rien qu’une idée. Un concept. Et une idéologie platonique.
Métaphysique réduite, oublieuse des corps.
Connecter le corps, la matière, à l’esprit. « Ecosophie! » eructa-t-il!
Une ode à la plasticité mentale qui, de la paréidolie -universelle- aux références codées culturelles pointues du dominant, pose un éventail sans jugement. Qui, du bois flotté assemblé « primitif » au néon baignant le fond de la salle d’un grésillement annonçant nos chers champions contemporains « I AM DUCHAMP » pose l’étendue des possibles en jeu.
Sans restriction. Un punctum globalisant en lui-même. Un diorama de primitif tentant par l’échelle réduite de reproduire le paysage mental pour tenter de le comprendre. Prendre en soi. Ces forces en marche. Cette force.
La plasticité même des Arts plastiques.
La plasticité de chaque cerveau rendant possible tout cela.
C’est avec ce projet que dimitri vazemsky aborde le médium curatorial, où l’écriture, brute, applique ses couleurs plastiques dans l’espace du lieu pour construire/écrire un paysage culturel, avec ses codes, ses enjeux, ses stéréotypes et, dans la grande tradition politique des Levellers, mélanger les genres pour les confondre: dimitri vazemsky est à la fois commissaire et artiste exposé. « Il a le droit? » demande un visiteur.
L’accumulation. Et sa tentative d’organisation, de bricolage de sens avec le sous-la-main, pose l’essence métaphysique de l’exposition et interroge la collection ainsi que toutes les pratiques de conservation, nourritures ou conservations d’oeuvres: lesquelles et pourquoi?
Le parallèle avec l’édition, les livres produits par vazemsky sur une vingtaine d’année, toute cette matière livrée, telle une collection de rencontres en textes posés. Collectés. Ici.
Dans une maison.
Pas très loin -derrière la conservation et la collection- on retrouve les notions de rétention et de fixation, grandes interrogations iconoclastes familières à vazemsky, en lutte constante, exemplaires dans ses photographies instables.
Désamorcer.
Et retrouver le Neutre.
La contemplation.
Le qualia.
Le projet Plasticity est à son deuxième état. Plasticity état #1 fut réalisé pour l’Hospice d’Havré en 2014.
Plasticity#2 pour la Maison Folie de Wazemmes en 2017.
Le projet PLASTICITY fut déclencheur d’un espace de travail autour du commissariat d’exposition.
La syllogomanie se retrouve dans BIBLIOMANIE, exposition autour de la notion de bibliothèque, de collection et de conservation centrée autour de l’objet livre ( salle patrimoniale de la Bibliothèque de Saint-Omer, mars 2017).
Le projet Plasticity est un projet d’essence post-fictionnaliste ( il est 23h29, le 3 mars 2018 et d’après google personne n’a jamais employé ce mot de « post-fictionnalisme »), comme la continuité du constaté par Magali Nachtergael: « Mais ce qui relevait au début du 21e siècle d’un courant esthétique, le fictionnalisme, s’est généralisé à des modes d’accrochage d’oeuvres n’ayant elles-mêmes parfois aucun ancrage narratif. Débordant la pratique artistique, l’avantage de cette “machine à raconter des histoires” est de lier des oeuvres parfois apparemment sans rapport les unes avec les autres, de créer des rencontres encore inédites mais aussi d’organiser un ordre thématique évolutif qui permette des renversements, des surprises et obéisse à une logique autonome, celle du récit. »
Un texte de Léa Bismuth fut écrit sur l’exposition Marcel Duchamp aimait Cranach, un article d’Elodie Weyne La Disparition de l’auteur au profit de l’oeuvre and a review de Nicolas Xavier Ferrand A propos of plasticity.